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La justice restaurative au cinéma, les CPIP sous les projecteurs

« Je verrai toujours vos visages », le film réalisé par Jeanne Herry, apporte au grand public un éclairage sur la justice restaurative, une pratique pensée comme un complément à la justice pénale. C’est aussi une mise en lumière du métier de conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP).

Photo du film "Je verrai toujours vos visages" © Christophe Brachet

 

Affiche du film "Je verrai toujours vos visages"Le 29 mars 2023, « Je verrai toujours vos visages », un film de Jeanne Herry, est sorti en salles. Il y est question de la justice restaurative, qui consiste à faire dialoguer auteurs et victimes d’infractions. Le film apporte au grand public un éclairage sur le fonctionnement de la justice restaurative à travers deux histoires : la rencontre entre des personnes victimes et auteurs encadrés par des professionnels et l’histoire plus personnelle d’une victime de viol incestueux. C’est aussi une mise en lumière du métier de CPIP et de son rôle dans ce dispositif.

La justice restaurative une pratique pensée comme un complément à la justice pénale. La sortie en salles de « Je verrai toujours vos visages » est l’occasion de mettre en avant les objectifs, le fonctionnement et les acteurs de ce dispositif en France. L’institut de français de justice restaurative (IFJR) définit la pratique ainsi : « La justice restaurative offre un espace confidentiel, sécurisé et volontaire, de parole et d’échanges sur les ressentis, les émotions, les attentes de toutes les personnes (auteurs, victimes, société civile) concernées par l’infraction et ses répercussions.

Elle leur permet de dialoguer, de poser les questions du « pourquoi » et du « comment » de l’infraction et de tenter d’y répondre. »

C’est une pratique adoptée en France depuis la loi du 15 août 2014 et mise en œuvre par la circulaire du 15 mars 2017L’article 10-1 du code de procédure pénale permet à toute personne victime ou auteur d’une infraction pénale de se voir proposer une mesure de justice restaurative à tous les stades de la procédure pénale et selon certaines conditions. Elle s’applique aussi aux mineurs.

>> En savoir plus sur la justice restaurative 

Gros plan sur le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation

Le long métrage de Jeanne Herry met en lumière pour la première fois le métier et les missions d’un CPIP et plus particulièrement son implication dans les mesures de justice restaurative.

Les CPIP assurent des missions de lutte contre la récidive et de préparation à la réinsertion des personnes placées sous main de justice (PPSMJ). Ils exercent en établissements pénitentiaires comme en milieu ouvert (service pénitentiaire d’insertion et de probation). Ils accompagnent les détenus ou les personnes condamnées à des mesures alternatives à l’incarcération dans l’exécution de leur peine. Pour chacune d’entre elles, ils mettent en place un plan personnalisé et préparent les mesures d’aménagement de peine. En milieu ouvert, ils prennent une part essentielle à la réinsertion des personnes soumises à une mesure alternative à l’incarcération (bracelet électronique, travail d’intérêt général, placement extérieur…). Ils s’assurent aussi que les personnes suivies respectent les obligations fixées par l’autorité judiciaire.

Au carrefour du droit, du social et de la criminologie, les CPIP participent à l’individualisation des peines par le recueil des informations nécessaires à la décision judiciaire et par le suivi de leur exécution. Ils jouent un rôle important en justice restaurative. C’est ce que montre le film de Jeanne Herry, qui a longuement échangé avec des CPIP du service pénitentiaire d’insertion et de probation du Vaucluse (SPIP 84) dont Céline et Thierry. Voici leur expérience de la justice restaurative.

La justice restaurative, pour vous c’est… ?

Céline : C’est permettre à des victimes et des auteurs de trouver le chemin de l’apaisement. La justice restaurative c’est également de permettre à des victimes de devenir actrices et à des auteurs de se responsabiliser.

La justice restaurative permet de redéfinir la place de la victime en la faisant passer du statut de plaignante à celui d’actrice. C’est aussi l’occasion pour l’auteur de sortir de son rôle de fauteur et de s’obliger à regarder l’acte commis et ses effets sur la victime. Le tout dans un cadre sécurisé par un protocole strict.

Thierry : C’est un espace-temps où l’humanité à toute sa place, où le sens de notre travail devient encore plus concret, plus vrai. C’est redonner de la confiance à la victime, l’apaiser et lui donner la possibilité de reprendre pied dans la vie en lui laissant la parole. Pour l’auteur, c’est l’amener à conscientiser sa responsabilité, à prévenir la récidive.

Quel est le rôle du CPIP dans le dispositif de justice restaurative ?

Céline : Le rôle du CPIP est d’informer les PPSMJ de l’existence de mesures de justice restaurative et de les orienter vers les animateurs des mesures, après avoir intégré cette orientation dans leur plan d’accompagnement. Après la formation en justice restaurative, vous devenez des CPIP – animateurs en justice restaurative. Je m’explique : la justice restaurative apprend à écouter les personnes de façon différente, « en mode avion », c’est-à-dire sans jugement et en laissant la personne expliquer son affaire comme elle l’a vécue. Cette façon de travailler change profondément le positionnement professionnel.

Thierry : Il faut dire que nous sommes formés à écouter d’une manière différente, sans forcer, sans diriger, juste en créant un espace pour que l’autre s’exprime. Le masque glisse, de CPIP je deviens animateur en justice restaurative. Mon rôle sera de préparer les personnes à entrer dans ces dispositifs, en toute sécurité, sans jugement.

Lorsque je ne suis pas animateur, mon rôle est aussi d’accompagner des personnes, auteurs ou victimes, sur les lieux où se passent les rencontres. Cela sécurise et allège le poids des participants, qui peuvent être plus sereins et disponibles. Au démarrage, le CPIP recueille le consentement exprès et la reconnaissance des faits par les auteurs : un engagement de principe à la participation à la session et à l’acceptation de ses règles fondamentales est signé par les participants.

Comment accompagnez-vous les auteurs d’infraction dans les mesures de justice restaurative ?

Céline : Après avoir reçu les informations sur les conditions et la mise en œuvre des dispositifs, les auteurs choisissent librement d’intégrer ou pas un dispositif de justice restaurative, puisqu’il s’agit d’une démarche volontaire et gratuite. Elle est sans aucune contrepartie en matière de remise de peine et sans aucune conséquence sur une demande d’aménagement de peine. Ils sont de plus en plus nombreux à demander à bénéficier d’une mesure de justice restaurative. Nous les aidons à définir leurs attentes par rapport à la mesure de justice restaurative. Nous les préparons à envisager toutes les attentes et les réactions de la ou des victimes, y compris celles auxquelles ils n’auraient pas pensé. C’est un long travail de préparation que nous faisons avec chacun des participants : auteurs et victimes.

Nous sommes supervisés au niveau technique par l’IFJR et au niveau clinique par un ou une psychologue.

Thierry : Nous sommes avant tout des facilitateurs de la parole. Au départ de la mesure, nous pouvons aussi être informateurs : nous transmettons de l’information sur le dispositif, sur le déroulement, sur la suite. La préparation est longue, le temps que la personne chemine et choisisse d’y aller ou pas. Quelquefois il faudra de multiples entretiens de plusieurs heures pour consolider et sécuriser la démarche.

Quelles sont vos missions globales en tant que CPIP ?

Céline : Je suis CPIP depuis 21 ans. Après avoir débuté ma carrière à Fleury Mérogis (Essonne), puis avoir connu la mixité (milieu ouvert et milieu fermé) au SPIP du Gard, j’exerce mes fonctions au SPIP du Vaucluse depuis 2011 uniquement en milieu ouvert. Ma mission principale est la prévention de la récidive en favorisant l’insertion ou la réinsertion des PSMJ. Après avoir évalué sa situation avec la personne c’est à dire avoir repéré les freins, les besoins et les ressources de la personne, j’élabore avec elle un plan d’accompagnement. Durant cette phase d’évaluation, et tout au long du suivi, le professionnel doit être en capacité d’entendre et d’écouter les souffrances de la personne. À défaut, il risque de passer à côté de la personne et le plan d’accompagnement pourrait être dépourvu de sens. Nos missions sont également de rendre compte aux magistrats et d’éclairer leurs décisions.

Thierry : J’assure des missions essentielles au sein de la Justice. J’œuvre contre la récidive en préparant la réinsertion des personnes qui me sont confiées en pré et post sentenciel. Je travaille en milieu ouvert à l’Alip (antenne locale d’insertion et de probation) Avignon et j’interviens sur un secteur délocalisé à Apt (Luberon). Je participe à l’individualisation de la peine par le recueil d’informations et la mise en place d’un suivi régulier des personnes, tout en aidant à la décision judiciaire. Depuis peu, je me sers des nouveaux outils d’évaluation, de travail en groupe collectif et je mets en œuvre des plans d’accompagnement avec les partenaires. Je développe des projets tels que des sorties resocialisantes, de la médiation animale, etc… Mais mon point fort reste la justice restaurative qui est le processus qui m’a procuré le plus d’émotions en presque 30 ans de métiers pénitentiaires.

 

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